
Afin de faciliter les poursuites contre les contrefacteurs, l’accord de Bangui a prévu une procédure facultative mais nécessaire à l’établissement de la preuve : la saisie-contrefaçon. C’est une procédure spécifique à l’action en contrefaçon dans le contentieux des droits de la propriété intellectuelle[1] et s’apparente au vue de sa fréquence d’usage à une action accessoire à celle-ci pouvant être formulée préalablement l’action en contrefaçon ou pendant ladite action. C’est dans le premier cas qu’elle conserve toute sa pertinence.
La « saisie-contrefaçon », prévue par le texte de Bangui, a souvent prêté à confusion[2] d’avec les différentes saisies prévues dans l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures de recouvrement et des voies d’exécution. Pourtant c’« est une saisie à des fins essentiellement probatoires non exclusive des autres moyens de preuve qu’offre le droit commun »[3]. La saisie-contrefaçon répond d’une certaine manière à l’exigence selon laquelle « Les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner l’adoption de mesures provisoires rapides et efficaces pour sauvegarder les éléments de preuve pertinents relatifs à cette atteinte alléguée »[4].
Les articles 64 de l’annexe I et 48 de l’annexe III de l’accord de Bangui organisent la saisie-contrefaçon respectivement en matière de brevet et de marque. Comme mode de preuve, elle n’apparait point comme indispensable[5], mais, elle demeure importante[6] en ce sens qu’elle permet de réunir en principe les éléments de preuve qui seront suffisants lors d’un futur procès pour que soit reconnue l’existence d’une contrefaçon. L’attention portera sur les modalités de mise cette mesure probatoire (I) dont la finalité est l’exécution de la saisie (II).
I- Les modalités de mise en œuvre de la saisie-contrefaçon.
La mise en œuvre de la saisie-contrefaçon résulte d’une requête de la victime de contrefaçon (A) suivie d’une ordonnance du président du tribunal civil compétent (B).
A) La demande de saisie-contrefaçon
Aux termes des articles 64 de l’annexe I et 48 de l’annexe III de l’accord de Bangui, seules les personnes ayant qualité peuvent recourir à une telle procédure(1), de même la forme de la demande est clairement précisée (2).
1) La qualité du demandeur dans une procédure de saisie-contrefaçon
En matière de brevet, l’article 64 sus évoqué se borne à énoncer que tous propriétaires du brevet peuvent recourir à une telle procédure. Quant à la marque, l’article 48 relève que le bénéficiaire d’une telle procédure est le propriétaire d’une marque ou le titulaire d’un droit exclusif d’usage.
Dans un ouvrage[7] commis par l’OAPI est dressée une liste des personnes aptes à initier une telle procédure. Il s’agit :
– du titulaire du droit violé ;
– du licencié exclusif en matière de brevet ou de marque ;
– du licencié simple agissant par voie d’intervention en greffant son action à celle du titulaire ;
– le bénéficiaire d’une licence non volontaire en matière de brevet d’invention ;
– le cessionnaire d’un titre de propriété industrielle ;
– enfin, en matière de propriété industrielle en générale, les ayants-droits du titulaire.
Par ailleurs, le propriétaire du brevet ou de la marque selon le cas, doit produire à l’appui de sa demande un titre en vigueur[8]. Pour le propriétaire du brevet, il faut nécessairement que le titre soit encore en vigueur et les annuités à jour de paiement. Quant à celui de la marque, il doit non seulement présenter une pièce justificative de l’enregistrement de la marque, mais également produire la preuve de non déchéance et de non radiation de celle-ci. Il est également important de relever que dans le nouvel accord de Bangui (Acte de Bamako), il est annoncé « La suppression de l’exigence des attestations et certificats de non radiation et de non déchéance avant l’ordonnance de saisie-contrefaçon »[9].
2) La forme de la demande
Les textes sus évoqués sont clairs à ce sujet : il s’agit d’une simple requête adressée au président du tribunal civil compétent, sans mis en cause du présumé contrefacteur. Cette simplicité de la requête ainsi que le caractère non contradictoire de la procédure témoignent de l’urgence en la matière. Il s’agit juste d’une procédure de rassemblement de preuve et par conséquent « l’annonce suffisamment tôt d’une saisie contrefaçon la priverait de toute efficacité et n’est évidemment imposé par aucun texte ou aucun principe »[10].
La requête présentée au magistrat doit être la plus exhaustive possible dans la présentation des exigences du demandeur, cette nécessité se comprend car l’autorisation qui sera accordée ne le sera qu’en fonction de ce qui est sollicité. Il faut que la requête prévoie l’ensemble des actes dont la réalisation est désirée par le saisissant. Il faut également qu’elle identifie le prétendu contrefacteur ainsi que le lieu ou devra s’opérer les opérations de saisie en question.
La demande régulièrement constituée doit être acheminée vers le président du tribunal civil territorialement compétent aux fins d’ordonnance de saisie-contrefaçon.
B) L’ordonnance de saisie-contrefaçon
Elle ne sera rendue par le président du tribunal civil compétent (1) qu’à condition que la mesure sollicitée relève de sa compétence (2).
1) Le juge compétent
Il ressort globalement l’accord de Bangui que les opérations de saisie-contrefaçon sont exécutées « en vertu d’une ordonnance du président du tribunal civil dans le ressort duquel les opérations doivent être effectuées »[11]. De cette disposition, on peut retenir deux choses : d’une part le législateur de Bangui a déterminé la juridiction compétente sur le plan territorial (juridiction du lieu où les opérations doivent être exécutées) et d’autre part il a laissé la latitude aux Etats membres de désigner dans leur organisation judiciaire respective le président de la juridiction civile matériellement compétent.
Sur ce deuxième point, au regard de la loi n°2006/O15, les juridictions de premier degré en droit moderne sont constituées des Tribunaux de première Instance et des Tribunaux de Grande Instance. Par conséquent, il peut s’agir soit du président du tribunal de première instance soit celui du tribunal de grande Instance. Or, puisqu’on a à faire à une mesure d’urgence, sur la base des articles 182 et suivants du code de procédure civile et commerciale, la doctrine majoritaire reconnait au Président du tribunal de première instance la casquette de juge de référé par excellence[12].
Le juge compétent ainsi déterminé, il convient d’examiner sa compétence.
2) La compétence du juge : l’ordonnance de saisie-contrefaçon
Le président du tribunal civil compétent, une fois régulièrement saisi, dispose des pouvoirs les plus étendus dans la détermination des suites de la procédure. Toutefois, la saisie-contrefaçon étant à but probatoire, il ne saurait être exigé du requérant qu’il apporte la preuve de la contrefaçon[13]. Le juge va en effet reprendre dans son ordonnance les mentions de la requête. Il s’attachera tout de même particulièrement à apprécier l’opportunité des mesures ici réclamées.
Le président se concentre sur la nécessité véritable de saisir réellement ou pas les objets, et s’il y consent, précisera la quantité devant être captée effectivement. Il peut demander au requérant de constituer des garanties. Celles-ci doivent être en principe suffisantes à indemniser le préjudice que pourrait subir le saisi au vue de l’ampleur de la saisie si celle-ci s’avère injustifiée.
Une fois l’ordonnance prononcée et les mesures demandées[14] accordées par le président du tribunal civil compétent, il reste à procéder à l’opération de saisie proprement dite.
II- L’exécution de la saisie
L’ordonnance rendue par le président de la juridiction civile compétente permet au titulaire du brevet ou de la marque contrefaite de « faire procéder par tous huissiers ou officiers publics ou ministériels, y compris les douaniers, avec, s’il y a lieu, l’assistance d’un expert, à la désignation et description détaillées, avec ou sans saisie, des objets prétendus contrefaisants »[15].
Ce texte est clair. L’exécution de la saisie suppose l’accomplissement des actes concrets (A) par des personnes bien déterminées (B).
A) Les acteurs de la saisie-contrefaçon
La présence de l’huissier ou d’un officier public ministériel est obligatoire (1), il pourra au besoin être assisté d’un expert (2).
1) Le rôle prépondérant de l’huissier
Le texte suscité parle d’huissiers ou d’officiers publics ministériels, sans doute une telle formulation tient à l’élargissement du champ des autorités aptes à dresser des actes authentiques ne pouvant être contestés que par une procédure d’inscription de faux[16]. Un tel élargissement est salutaire pour les justiciables dans une procédure en saisie contrefaçon. Ainsi à l’huissier[17], on peut ajouter le notaire[18] et le commissaire-priseur[19], ceci étant qu’au Cameroun, les fonctions de commissaire-priseur sont exercées par les huissiers.
L’huissier joue un rôle majeur dans une procédure de saisie-contrefaçon. En effet c’est lui qui procèdera « à la désignation et description détaillées, avec ou sans saisie, des objets prétendus contrefaisants ». Á cette fin, il doit faire preuve de diligence et de responsabilité sous peine de dommages-intérêts contre lui. Avant de procéder à la saisie, l’huissier doit antérieurement transmettre copie de l’ordonnance du président de tribunal au détenteur des objets décrits ou saisis. Le caractère préalable de cette remise « a pour but de permettre au saisi d’avoir connaissance des raisons d’être de la mesure, de savoir l’étendue et la limite des obligations et des droits conférés »[20] au requérant c’est-à-dire le titulaire du titre.
Comme à l’accoutumée, après avoir réalisé les opérations de saisie, il doit dresser un procès-verbal qui sera signifié aux parties[21].
Au besoin, il pourra recourir aux services d’un expert.
2) Le rôle subsidiaire de l’expert
L’assistance de l’huissier n’est point obligatoire. Le texte de Bangui ne souffle mot des modalités d’intervention de ce dernier. En effet, le législateur de Bangui s’est borné à introduire l’expert dans la procédure de saisie-contrefaçon via l’expression « s’il y’a lieu » !
Cette expression témoigne juste de ce que le recours à l’expert n’est point obligatoire et ne devra être possible qu’en cas de nécessité.
Le recours à l’expert dans une procédure de saisie-contrefaçon est une option salutaire car en matière de brevet par exemple, la technicité du domaine exige qu’un tel personnage intervienne. Néanmoins il aurait fallu que le législateur définisse la notion d’expert. Il n’est point nécessaire de tergiverser sur la question sachant qu’en matière brevet, la notion d’expert renvoie à l’homme de l’art dont les connaissances techniques lui permettent d’apprécier l’existence ou non d’une contrefaçon.
En cela, il sera éventuellement d’un grand secours pour l’huissier dans la réalisation des opérations de saisie.
B) Les opérations de saisie.
Il s’agit de « la désignation et description détaillées, avec ou sans saisie, des objets prétendus contrefaisants ». La formulation employée par le législateur quant à donner un contenu concret aux opérations de saisie pourrait être mal perçue, car on pourrait à tort croire qu’il n’existe qu’une seule opération de saisie, or ce n’est point le cas.
En fait, on peut distinguer deux opérations[22] d’une part la désignation et description détaillées des objets prétendument contrefaisants (1), et d’autre part la saisie réelle des objets prétendument contrefaisants associée ou non à la désignation et description détaillées(2).
1) La désignation et description des produits argués de contrefaçon
Ici, l’huissier se borne à procéder une fois sur les lieux à l’identification et à la description des produits prétendument contrefaisants. On pourrait de bon droit penser que la présence d’un expert ne sera pas forcément nécessaire, car l’identification et la description semblent être du ressort intellectuel d’un huissier. En revanche, il serait souhaitable que la phase de jugement au fond fasse intervenir l’expert en question.
Dans cette phase, ce qu’il y’a de fondamental à retenir c’est que les produits argués de contrefaçon demeurent en possession du prétendu contrefacteur. Aussi l’huissier n’exécute-t-il que ce qui a été décidé dans l’ordonnance. Autrement dit, il est tenu de respecter les termes de l’ordonnance. Cela vaut également pour la saisie réelle.
2) La saisie réelle avec ou sans description détaillée des produits argués de contrefaçon
Elle consiste à l’appréhension par l’huissier des objets argués de contrefaçon. C’est l’hypothèse la plus courante. Il n’est point nécessaire que l’ordonnance ait requis de l’huissier la saisie matérielle de tout le stock du présumé contrefacteur pour deux raisons fondamentales. D’une part le saisi n’est à ce stade qu’un présumé contrefacteur, et d’autre part, la saisie étant à but probatoire, quelques échantillons de produits contrefaits s’avèrent suffisants à cette fin.
Aussi, dans l’hypothèse où serait requise une saisie de quantité importante de produits argués de contrefaçon, la caution exigée initialement devra servir à indemniser le présumé contrefacteur au cas où ladite saisie s’avère par la suite être abusive.
En somme, on peut observer que la saisie contrefaçon s’apparente à une procédure exorbitante à l’égard du tiers saisi. Si les droits de la défense doivent être de toute évidence respecté, il ne faut pas oublier ceux de la victime, qui se trouve être économiquement spoliée du fait des actes de contrefaçon. De toute façon, le tiers saisi dispose de voies et moyens légaux pour faire sanctionner tout abus à l’issue de l’opération de saisie. De plus le saisissant doit impérativement saisir la juridiction du fond compétente, soit par voie civile, soit par voie correctionnelle, dans le délai de dix jours ouvrables, sous peine de nullité de plein droit de la description ou de la saisie sans préjudice des dommages-intérêts pouvant au besoin lui être réclamés[23].
[1] – MENDOZA-CAMINADE (A.), « La saisie-contrefaçon. Une mesure aux allures de sanction », in, C. Mascala (études réunies et présentées par), Á propos de la sanction, Presses de l’université des Sciences Sociales de Toulouse, 2007, p.117.
[2] – Dans une affaire en date du 28 janvier 2008, le juge, en guise de réponse à la question du choix de l’applicabilité du texte de Bangui et de l’Acte uniforme OHADA sur les voies d’exécution concernant un cas de « saisie-contrefaçon » à lui soumis sur le fondement des dispositions de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution a rappelé que « le traité OHADA n’ayant pas réglementé les saisies-contrefaçons, celles-ci restent régies par les dispositions de droit commun » ; CA Littoral, Société Bic SA c/Société TBC, 28 janvier 2008, arrêt no 28 ; en ligne sur Ohadata J-10-257 http://www.ohada.com/jurisprudence/ ohadata/J-09-136.html.
[3] – OAPI, Le contentieux de la propriété intellectuelle dans les États membres de l’OAPI, Guide du magistrat et des auxiliaires de justice, Op. cit., p. 63 ; Aussi, le TGI de Strasbourg a-t-il rendu une décision fort significative à cet égard considérant que : « la saisie contrefaçon n’est qu’un mode de preuve supplémentaire, et souvent très efficace, pour établir l’existence d’une contrefaçon. Aucun texte, ni législatif, ni réglementaire n’oblige à recourir à ce moyen de preuve particulier », TGI Strasbourg, 5 février 1991, PIBD 1991, III, p. 339 et s.
[4] – Art. 50 al. 1 (b) de l’Accord ADPIC.
[5]– La contrefaçon est un fait juridique, la preuve peut se faire par tous moyens.
[6]– À titre d’exemple, la 3ème Chambre du tribunal de grande instance de Paris a autorisé en 2007 environ 600 saisie-contrefaçon, ce chiffre fut indiqué par Mme Élisabeth Belfort lors d’une intervention en 2008 dans le cadre des Sixièmes rencontres internationales de la propriété industrielle, Contentieux de l’immatériel.
[7] – OAPI , Le contentieux de la propriété intellectuelle dans les États membres de l’OAPI , Guide du magistrat et des auxiliaires de justice, 1ère Ed., collection OAPI, Yaoundé, 2009, p. 63.
[8] – V., Al.2 art. 64 annexe I et al.2 art.48 de l’annexe III de l’accord de Bangui.
[9] – OAPI, « Principaux changements dans l’Accord de Bangui, Acte de Bamako », in, OAPI Magazine n° 028- juin 2016, p. 16.
[10] – CA Paris, 4éme ch., PIBD 1991, III, 521.
[11] – V., Art.64 al.1 annexe I et 48 al.1 annexe III de l’accord de Bangui. Une disposition similaire est à relever pour les autres droits de propriétés industrielles présentes dans l’accord de Bangui.
[12]– Á ce sujet, en examinant les règles relatives à la compétence juridictionnelle en matière de saisie contrefaçon, FOMETEU (J.) déclare qu’« en effet, il est évident que lorsque la victime ou potentielle victime d’une contrefaçon est informé de l’existence ou de la menace de l’infraction, elle a tout intérêt à agir avec la plus grande célérité. Or, le juge idoine pour lui prêter le concours rapide dont il a besoin est le magistrat de l’urgence, c’est-à-dire dans notre droit interne le président du tribunal de première instance agissant comme juge des requêtes », in, commentaire Ordonnance n°17/R du 21 novembre 2005,TPI de Garoua, affaire Sadjo Mabi c/ comité provinciale de lutte contre la piraterie, Obs. FOMETEU (J.).
[13] – MATHELY (P.), Le nouveau droit des brevets, éd. JNA, 1991, p. 411.
[14] – Les mesures consistant à la saisie-contrefaçon ont été demandées par le requérant, victime-titulaire du brevet ou de la marque contrefaite.
[15] – V., Art.64 de l’annexe I et 48 de l’annexe III de l’accord de Bangui.
[16] – Cass. Civ. 11juin 2003, Bull. Civ. I. n°139, D. 2004, p.830, notes AUBERSON (F.).
[17] – Au Cameroun, la profession d’huissier est organisée par le décret n°79/448 du 05 novembre 1979 portant réglementation des fonctions et fixant le statut des huissiers de justice et agent d’exécution, modifié et complété par le décret n°85/238 du 22 février 1985.
[18] – La profession de notaire est organisée au Cameroun par le décret n°95/034 du 24 février 1995 portant statut et organisation du notariat en république du Cameroun.
[19] V., Art.1er al.1 (3) du décret portant organisation de la profession d’huissier au Cameroun.
[20] – CA Paris, 4ème ch., 25 février 1992, Ann.1992, p.179.
[21] – CA Paris, 4ème ch., 14 mars 1991, PIBD 1991, III, p.521.
[22] – OAPI, Le contentieux de la propriété intellectuelle dans les États membres de l’OAPI, Guide du magistrat et des auxiliaires de justice, Op. Cit., p. 65.
[23] – V., Art. 48 de l’accord sur les ADPIC ; art. 65 de l’annexe I et art.49 de l’annexe III de l’accord de Bangui.